Nicolas Otton : l’année 2022 a été marquée par une dégradation de l’environnement macro-économique en Europe et aux États-Unis. La situation est-elle identique de part et d’autre de l’Atlantique ? Jean Lemierre : l’origine de la situation qui prévaut des deux côtés de l’Atlantique est initialement la même. Pendant la pandémie de la Covid-19, les gouvernements ont pris la décision de soutenir les activités et les personnes, en injectant des liquidités dans l’économie. Du fait de la faiblesse des dépenses durant le confinement, ces revenus se sont accumulés et ont provoqué, au sortir de cette période, un déséquilibre entre l’offre et la demande, créant ainsi de l’inflation, à des niveaux que l’on n’avait pas connus depuis longtemps. Aux États-Unis, le problème se limite à ce déséquilibre et la Réserve fédérale a remonté les taux directeurs d’une manière déterminée et volontariste pour assainir la situation. L’Europe a également relevé ses taux directeurs, mais en revanche, elle est soumise à un second défi majeur, celui de gérer les répercussions de la guerre en Ukraine, en premier lieu au niveau énergétique.


Comment cet enjeu affecte-t-il la réponse européenne à l’inflation ? J.L. : si les États-Unis ont développé des sources d’énergie domestiques comme le gaz de schiste, l’Europe importe une grande partie de son énergie. Cette dépendance entraîne une hausse des prix qui affecte les consommateurs et pèse également sur la compétitivité des entreprises européennes. Cela s’est traduit par la mise en place de boucliers énergétiques pour des montants impressionnants. Rien qu’en additionnant les soutiens mis en place par les gouvernements français, allemand, belge, nous devrions atteindre 800 à 900 milliards d'euros sur deux ans. D’où le paradoxe européen : il faut à la fois ralentir l’économie pour limiter l’inflation, mais en même temps soutenir et protéger les citoyens et les entreprises. De ce fait, l’économie européenne devrait connaître un ralentissement plus mesuré que les États-Unis, mais une reprise qui mettra plus de temps à se matérialiser.


Quels sont les enjeux énergétiques à plus long terme ? J.L. : au-delà de l’augmentation des prix, la guerre en Ukraine et ses conséquences posent des questions beaucoup plus structurelles à l’Europe : comment sécuriser ses approvisionnements énergétiques ? Cela passe tout d'abord par la diversification des sources mais aussi, et surtout, par la transformation du modèle énergétique européen pour le rendre plus compatible avec les objectifs de lutte contre les changements climatiques. Il est primordial de travailler sur les dimensions à la fois techniques et politiques pour créer un véritable marché énergétique à l'intérieur de l'Europe.


L'Europe et ses institutions sont-elles suffisamment armées pour faire face aux défis que vous venez de mentionner ? J.L. : certainement, car l'Europe est un continent de talents. Au cours des 30 dernières années, elle a montré sa capacité à créer un véritable marché monétaire commun, avec la Banque centrale et la monnaie unique. Cette réussite est duplicable pour le marché de l’énergie, avec autant de défis importants et d'opportunités d'investissement. En outre, l’Europe est un continent d’épargne qui s’investit aussi au-delà de ses frontières. Il est important de canaliser cette épargne pour la mettre au service des ambitions européennes. C’est le rôle des marchés de capitaux et c’est aussi une partie de notre métier de banquier en structurant des actifs pour les investisseurs. Des réformes sont en cours, elles devraient accompagner cette évolution. Il existe des opportunités extraordinaires pour les investisseurs, institutionnels et particuliers, dans la transformation énergétique, dans le développement des énergies renouvelables, dans les infrastructures, dans les technologies… Chacun devrait y trouver son compte. La même logique de canalisation de l’épargne vers des secteurs stratégiques doit aussi s’appliquer à l’économie digitale.


Les investisseurs sont aussi sensibles aux taux de change… J.L. : effectivement et nous avons encore pu le constater en 2022. La lutte contre l’inflation a commencé plus tôt et de manière plus déterminée aux États-Unis, entraînant un flux d’épargne en provenance de l’Europe, attiré par des taux d’intérêt plus élevés. Le dollar s’est donc fortement apprécié l’année dernière, profitant également de son statut de monnaie de réserve durant les périodes de tension géopolitique. Cette situation a des conséquences pour l'Europe car elle importe de l’inflation quand le dollar est plus fort que l’euro. C'est aussi une situation préoccupante pour les pays émergents qui dépendent de financements élevés pour pouvoir faire face aux besoins d’une population de plus en plus élevée et d’une modernisation incontournable. J'ai pour habitude de ne jamais me prononcer sur les évolutions de change, trop incertaines à mon avis. Néanmoins, je ferai simplement un vœu : j'espère que la lutte contre l'inflation aux États-Unis portera rapidement ses fruits. La politique monétaire américaine sera alors moins agressive et le marché des changes sera moins tendu.

 

GÉOPOLITIQUE : ANALYSE ET VISION

• Jean Lemierre, Président du Conseil d'Administration de BNP Paribas, dans une entrevue avec Nicolas Otton, Directeur de BNP Paribas Banque Privée et Président de Postzamparc, nous expose son analyse du contexte géopolitique en 2022 et nous donne sa vision pour l'année 2023.



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